La tradition japonaise des trésors vivants

Certaines personnes incarnent à elles seules le patrimoine et l’histoire culturelle d’un pays. En France, on parle de « Maître d’art ». Au Magreb, c’est le maâlam, maâllem ou mâallem ; autrement dit, littéralement « celui qui sait » ou « celui qui a un savoir-faire ». En République Tchèque, c’est le « détenteur de la tradition des arts et métiers populaires ». Au Japon, on peut traduire ningen kokuhô comme expression désignant un individu qui a poussé son expertise au sommet, érigeant son métier au rang d’art. Quels que soient le pays et l’appellation, ils sont des maîtres en matière d’artisanat ou d’art. I MAKE vous propose de partir à la richesse de ces « trésors vivants. »

Les trésors vivants… késako ?

Au Japon, les termes « Trésor national vivant » ou encore, « Trésor humain vivant » sont des expressions passées dans le langage courant. Pourtant ces formules sont mystérieuses pour nous. Que désignent-elles vraiment ?

Des personnes. Des individus, qui au gré des années, des formations et des expériences, ont atteint un très haut niveau de connaissances. Ce savoir-faire, arrivé à son apogée, leur permet d’interpréter ou de recréer des éléments spécifiques du patrimoine culturel immatériel.

C’est l’UNESCO qui a proposé le titre « Trésor humain vivant » à titre indicatif, encourageant chaque pays à se l’approprier mais surtout, à reconnaître ces hommes et ces femmes détenteurs d’un savoir-faire ancestral, de gestes et de paroles précieux et anciens, qu’il est essentiel de préserver. C’est d’ailleurs dans cette optique que l’UNESCO a lancé en 1997 le programme de la « Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ». L’objectif : encourager les Etats membres à accorder une reconnaissance officielle à ces praticiens talentueux et les aider à assurer la transmission de leur art aux jeunes générations.

Le patrimoine culture immatériel

Il est peut-être temps de revenir sur une autre notion fondamentale pour mieux comprendre quelles personnes se cachent derrière la noble appellation de trésors vivants : que veut dire « patrimoine culturel immatériel » ?

On considère comme appartenant au patrimoine culturel immatériel, toutes les traditions et expressions orales. Mais aussi, les arts du spectacle, les rituels et événements festifs. Les connaissances et les pratiques concernant la nature et l’univers. Et enfin – et c’est forcément ce qui nous intéresse le plus chez I MAKE – tous les savoir-faire liés à l’artisanat. Ainsi, ces « trésors vivants » sont ces individus qui se portent garants de l’existence et de la transmission de tous ces savoirs qui, sans eux, viendraient à disparaître.

Protéger ces savoir-faire, fragiles et précieux

Les protéger, certes mais comment ? Et qu’est-ce que cela signifie exactement ? Pour les sauvegarder, il faut forcément les perpétuer. Voilà pourquoi chaque artisan doit transmettre les gestes, les connaissances aux générations suivantes, partageant des métiers, des connaissances qui ne bénéficient plus de formation. Mais il a aussi une autre responsabilité : le devoir de perfectionner ce savoir-faire pour l’ériger au rang d’art.

« Une tradition véritable n’est pas le témoignage d’un passé révolu ; c’est une force vivante qui anime et informe le présent. Bien loin d’impliquer la répétition de ce qui fut, la tradition suppose la réalité de ce qui dure. Elle apparaît comme un bien de famille, un héritage qu’on reçoit sous condition de le faire fructifier avant de le transmettre à sa descendance », Igor Stravinsky, compositeur et chef d’orchestre russe. *

Les trésors vivants en France

En France, on les appelle les Maîtres d’art. Ce titre, décerné à vie par le ministère de la Culture, distingue donc tous les artisans français de passion pour la singularité de leur savoir-faire, leur parcours exceptionnel et leur implication dans le renouvellement des métiers d’art. Une fois qu’il a reçu cette haute distinction, le Maître d’art a un devoir : transmettre son savoir-faire à l’élève avec lequel il a été sélectionné. Pendant trois ans, son atelier devient le lieu privilégié de la transmission. A ce jour, 141 professionnels, acteurs de la création ou restaurateurs, ont été nommés Maîtres d’art et 101 métiers artisanaux ont été mis à l’honneur.

Une tradition particulièrement choyée au Japon

Si la préservation de ces trésors vivants que sont les Maître d’art est mal connue en France, au Japon elle fait partie de la culture collective et le pays du Soleil Levant a particulièrement à cœur de protéger ses savoir-faire ancestraux. Il faut dire, alors qu’en Occident le terme patrimoine évoque souvent « la pierre », au Japon, et en Asie de façon plus générale, c’est l’inverse. Fréquemment, des édifices sont détruits pour être reconstruits au profit d’architectures plus modernes et les Japonais accordent bien plus de valeur à la transmission de rites, de symboles, de connaissances qu’à la sauvegarde de bâtisses et monuments anciens.

Ainsi, parmi les arts ancestraux nippons, précieusement conservés par les « trésors humains vivants » appelés ningen kokuhô, on retrouve donc différentes disciplines, classées en huit catégories, elles-mêmes décomposées en sous-catégorie : céramique, textile, laque, métal, fabrication de poupées, travail du bois, fabrication du papier et artisanats divers. Parmi celles qui nous fascinent le plus, on peut citer l’art du Yûzen, la technique de teinture sur soie, ou encore la vannerie à la sauce nippone avec des paniers de bambous. On est séduit par la beauté étrange des masques du théâtre Nô, fabriqués par des maîtres sculpteurs pour les spectacles ou par l’immuable yuzen, technique de teinture textile utilisée pour les kimonos d’apparat. Le point commun ? Les trésors humains vivants japonais conçoivent leur discipline, plus que comme un art, comme une philosophie, un art de vivre auquel ils se consacrent entièrement. Chaque geste, chaque tâche, chaque répétition se niche dans le dévouement, l’humilité, et dans le souci de perfection.

Bien entendu, le statut de trésors humains vivants ne s’acquiert qu’avec le temps, après des années et des années de don de soi, d’apprentissage, de pratiques puis enfin, de maîtrise totale. Pas étonnant donc qu’au Japon ces artisans au savoir absolu soient considérés comme faisant partie de l’élite. Envie d’en savoir plus ? De passage à Paris, n’hésitez pas à vous rendre à la Maison de la culture du Japon.

* Poétique musicale, Paris 1952

Cet article a été rédigé par Vanina Denizot.